de l’intuition et de la reflexion…
Et si on (re)lisait les classiques ?
Petite synthèse de “Système 1 / Système 2 : Les deux vitesses de la pensée” de Daniel Kahneman, psychologue et Prix Nobel d’économie 2002.
Depuis le début des années 1970, Daniel Khaneman étudie la psychologie de la connaissance et de la décision, et remet en cause la rationalité de la pensée.
Dans ce livre – basé sur une longue collaboration avec Amos Tversky, psychologue israélien décédé depuis – Daniel Kahneman distingue précisément deux « vitesses de la pensée », qui cohabitent :
• Le Système 1 est rapide, intuitif et émotionnel. Par simplicité, nommons-le Intuition.
• Le Système 2 est plus lent, plus réfléchi, plus contrôlé et plus logique. Il peut aussi être appelé Réflexion.
Nous pensons – et décidons donc – à l’aide de ces deux systèmes, différents et séparés, parfois en concurrence, parfois complémentaires.
Le Système 1, intuitif, est notre mode de pilotage automatique
Le Système 1 fonctionne notamment sur la base de notre mémoire, donc notre expérience et nos émotions passées. Extraordinairement efficace, il rend possible une décision rapide et efficace, presque sans réfléchir.
Ainsi, cela nous permet d’agir vite si nous voyons un enfant tenter une escalade périlleuse et chuter, car « nous étions certain que cela allait arriver », dirons-nous après.
Ou face à une mimique de notre interlocuteur, nous devinerons instantanément la colère, et agirons en conséquence (sans garantie quant à la pertinence de la décision qui suit : fuite, combat ou indifférence..).
Autre avantage : l’Intuition nécessite un minimum d’effort, puisque nous agissons de manière presque automatique. Ainsi, chaque matin, nous pouvons mettre un manteau et fermer notre porte sans même en garder le souvenir.
En effet, le Système 1 utilise la mémoire pour ne pas avoir à solliciter le Système 2. Plus on réalise une tâche et moins le Système 2 sera sollicité.
A la question banale et polie du voisin croisé sur le palier, nous répondrons un « ça va merci et vous ? » tout aussi banal, et poursuivons ainsi tout au long de la journée.
Mais si le voisin en question insiste, et demande précisément si notre rhume va mieux, alors il est possible que le Système 2 soit enfin sollicité. Peut-être pas sur les premiers mots, presque réflexes (le « Oui, oui… » ou « bof », selon chacun) mais sur la suite des informations données (l’efficacité du traitement, etc…).
Comment ? Le Système 1 dispose d’un certain nombre de contrôles qui déterminent s’il doit faire appel au Système 2 : c’est l’aisance cognitive. On parle aussi de tension mentale.
Quand cette aisance cognitive est « tendue », alors le Système 2 est sollicité.
Quand le Système 1 fait cavalier seul… et qu’il se trompe !
Malheureusement, nous avons tendance à ne pas assez activer le Système 2… Cela conduit à de nombreuses erreurs de raisonnement, et donc de décision.
Pourquoi ?
D’abord, le Système 2 est puissant et nécessite de l’attention, de la concentration et un véritable effort. Des analyses ont montré une réelle augmentation de la consommation de sucre dans le sang lorsqu’il est activé.
De plus, nous souffrons de nombreux biais cognitifs, et sommes donc persuadés – sur le moment – que notre Intuition suffit.
Daniel Kahneman détaille plusieurs de ces biais de raisonnement.
Ainsi, notre Intuition ne tient pas compte de la taille des échantillons. Si vous connaissez 3 personnes atteintes de la grippe hivernale, vous aurez le sentiment qu’elle a été féroce cette année passée, alors que les statistiques seront peut-être contraires.
De même, si l’on doit estimer la fréquence des accidents d’avions, le fait qu’un crash ait eu lieu récemment nous influencera certainement. C’est la mémoire, le Système 1 qui va travailler sans faire appel à d’autres éléments.
L’affect aussi oriente nos jugements vers un résultat conforme à nos souhaits. On ne trouvera par exemple que des avantages à une technologie qui nous convient et a contrario que des inconvénients à celle qui ne nous convient pas.
Ajouter à cela l’éventuelle escalade médiatique ou le relais des réseaux sociaux, et le Système 1 sera totalement enferré dans ses biais cognitifs.
Allez, un dernier biais ? Des faits que l’on a déjà vécus, des mots déjà lus donnent une impression de facilité et maintiennent l’Intuition dans ses automatismes. Un peu de la même façon que vous lirez sans grande difficulté cette phrase, dans laquelle les lettres ont pourtant été mélangées : « Sleon une édtue de l’Uvinertisé de Cmabrigde, l’odrre des ltteers dnas un mot n’a pas d’ipmrotncae, la suele coshe ipmrotnate est que la pmeirère et la drenèire lteetrs sinoet à la bnnoe pclae. »
Le Système 2, ou la Réflexion en complément de l’Intuition
Seul le Système 2 peut gérer un raisonnement juste, factuel, et essayer de prendre en compte l’ensemble des éléments pertinents : les faits, mais aussi la mémoire, l’expérience, le bon sens, autant d’éléments qui appartiennent a priori au Système 1.
Daniel Kahneman – ici associé avec le psychologue Paul Meehl – ne rejette pas l’intuition (« décision interne ») dans une prise de décision mais il pense qu’il faut impérativement l’associer à une étude statistique et factuelle (« décision externe »).
Pour la bonne prise de décision, il est donc impératif de “lever la tête” et de chercher aussi des éléments à l’extérieur.
Cette collaboration des deux systèmes est utile, et … inévitable : le Système 1 ne s’arrête jamais et continue toujours en toile de fond.
Méfiance d’ailleurs, car il donne un poids dans le raisonnement à certains éléments qui n’ont rien à y faire. Ainsi, l’analyse de la santé financière d’une entreprise peut être polluée par le fait que l’on aime, ou pas, ses produits ou services… Dans ce cas il faut réussir à maîtriser son intuition.
Conclusion
Le Système 1 / Intuition est donc notre pilote automatique, un gain de temps et d’efficacité au quotidien. Il permet aussi des conclusions rapides / hâtives qui peuvent être rentables si le risque n’est pas élevé. Inutile d’alerter le Système 2 quand l’enjeu n’est pas important !
Cependant, il faut nous méfiez de nos biais cognitifs, et penser régulièrement à activer le Système 2 / Réflexion lorsqu’un raisonnement solide est requis.
Celui-ci ne prend pas le pouvoir, comme l’idéal de Platon, Kant ou Descartes d’une logique purement rationnelle et mathématique. Il s’active en effet en complément : Système 1 / Intuition et Système 2 / Réflexion travaillent alors de concert, pour obtenir le meilleur raisonnement.
Allez, avant de nous quitter, démontons un dernier biais cognitif…
Ce que le bon sens populaire appelle “la première impression”, bonne ou mauvaise, n’est qu’un biais cognitif de plus de notre Intuition. A vous de décider si vous solliciter ou non votre Système 2, c’est un choix !
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